(photo d’en-tête : chasse aux oeufs de Pâques à la cité radieuse à Marseille - via le blog des habitants)
Tout autour de nous est “expérience”, et prétexte, grâce à une approche centrée sur les humains et à des méthodologies de design, à la proposition de produits et services apportant toujours plus de valeur, d’innovation, voir de disruption.
Mais il me semble qu’une partie de nos vies est laissée sur le bord de la route de notre époque sans cesse en disruption et innovations de toutes sortes : l’expérience de l’habitat/logement collectif.
Hors cela représente pour partie d’entre nous un quotidien bien réel (45% des logements en 2019 en France sont des logements collectifs, environ 16 millions sur 36 - et la proportion est légèrement plus élevée en moyenne dans la zone Européenne), et une tendance marquée d’un futur probable vers les villes (de l'exode rural du XIXème siècle, la démographie galopante annonce les mégalopoles de demain).
De la ville et de ses logements
Sans aller jusqu’à nous projeter dans une ville comme Lagos au Nigéria, pensons à nos immeubles haussmanniens, nos cités de banlieue, nos résidences de centre-ville ou en périphérie, qui peuvent sembler “moches” à certains.
La plupart d’entre nous s'est logé dans un habitat collectif, en famille, entre amis ou colocataires, pendant ses études ou en transit, bref nous avons tous de quoi nous remémorer des moments de vie dans cet espace de transition entre intérieur (notre logement) et extérieur (le dehors où nous partons au travail, à l’école, en courses, en balade, en voyage…).
Hors cette transition et l’expérience que nous y vivons, semble s’appauvrir de jour en jour.
Je vis pour ma part dans Paris, passé d’un ancien immeuble haussmannien chargé d’histoires et de vécus, à une petite résidence de logements tout beaux, tout neufs.
Et naïf comme je le suis parfois, je me disais, “génial, les promoteurs et les architectes ont dû et pû s’en donner à coeur joie pour imaginer et proposer une super expérience pour les nouveaux habitants”...
Et bien mise à part un “local de convivialité”, que personnes ne sait ni ne peut utiliser, ces grosses boites à appartement ne sont que du vide. Les appartements sont habités - au sens faire expérience avec - oui, mais pas la résidence, dont rien ni personne n’a prévu les moyens, les codes, les outils, les humains pour créer et développer du lien.
Mon immeuble avant/après
Mon immeuble haussmannien avait sa gardienne. Il était occupé par des personnes âgées étant nées dans l’immeuble qui vous racontaient volontiers l’histoire du quartier. Le quartier avait sa place dans l’immeuble car les commerçants y faisaient commerce et parfois l'habitait. Mais ce n’était pas le paradis pour autant, ce n’est pas ce que je veux dire.
De nombreuses choses auraient pu être améliorées. Il y avait cependant un liant, apporté par l’histoire et la gardienne.
Dans ma résidence toute neuve, ce liant n’existe pas. Un groupe d'habitant se retrouve régulièrement via un blog et des activités de jardinage, mais un rien ferait capoter ces bonnes volontés. Car aucun socle n’est posé qui permette de construire et pérenniser une expérience collective.
Loin de moi l’idée de dire c’était mieux avant, car je n'apprécie pas trop cette vision des choses. Je préfère dire “il y a tant à faire de mieux, allons-y !”
Comment pourrait-on repenser l’expérience habitat ?
Enfin, me direz-vous, voilà mon propos : que pourrait-on faire ? Car il y a tant à faire.
Avant de vous proposer de découvrir des pistes d’innovation, je tiens à mettre l’accent sur une étude (2014-2015) de l’observatoire AGEFOS-PME sur les métiers de gardienne et concierge : partant de la statistique imparable que ce métier est en voie de disparition (50% en moins à Paris entre 1980 et 2010 !), ils ont pris le parti d’en analyser les raisons et chose merveilleuse pour aller de l’avant, ils en ont fait ressortir de manière très détaillée, les activités et tâches bénéfiques.
Cette étude est une mine d’or car elle prend chaque spécialité pour la traduire dans une forme de Persona avec une photographie des activités d'aujourd'hui (en perdition parfois), mais surtout celle de DEMAIN en les classant avec différents angles de vues (mission principal, conditions de mise en oeuvre, compétences requises et aptitudes, formations, employeur).
Voilà donc une mine d’Insights pour tout acteur de l’habitat collectif qui cherche à innover dans son domaine.
Mais en dehors de ce rôle clé de la gardienne-concierge, n’y a-t-il pas d’autres possibilités d’innover ? d’apporter enfin du sens et de la valeur à ce type d’expérience ?
L’expérience habitat ou refonder le paradigme du partage
Comme je le disais, la gardienne n’est pas le graal, mais je dirais plutôt le ciment - et quand on parle bâtiment, ce mot fait particulièrement sens 😉
Elle est le ciment du lien et du partage, car beaucoup de choses passent par elle, que ce soient des objets (lettre, colis, course), des moments (les bonjours, les rencontres), des dialogues et des émotions.
Mais ce ciment du partage peut aller bien au delà de la seule redevabilité de la gardienne, qui disparaît c’est un fait.
Aussi je vous propose de découvrir quelques axes de nouvelle valeur ajoutée, basés sur des pratiques d’autres temps ou d’autres lieux, et de les classer en 3 catégories :
# le partage de moyens
# le partage de savoirs et savoir-faires
# le partage par l'entraide
Commençons par le partage de moyens, et nous verrons les 2 suivants dans un prochain article…
Une nouvelle expérience habitant, par le partage de moyens
Ce partage de moyens, peut dans un habitat collectif être le fait d’un groupe de personnes isolées, mais dans d’autres pays la notion de “Community/Shared laundry” en Amérique du nord ou “Tvättstuga” en Suède est déjà historiquement bien ancrée (parfois en train de disparaître comme nos gardiennes).
Un immeuble collectif peut (doit ?) en effet disposer d’un espace “commun”, souvent une laverie, où l’on se partage du matériel (lave linge, séchoirs, éviers…). Pas besoin donc individuellement de posséder tout ce matériel. C’est donc un enjeu clé pour un monde plus responsable sur sa dimension écologique.
Et comment ne pas pousser la réflexion sur d’autres matériels que nous n’utilisons presque jamais et qui pourraient être partagés ?
Par exemple nos outils de bricolage ! Quand on sait qu’une perceuse “grand public” n’est utilisée que 12 minutes sur le total de sa durée de vie, ne pourrait-on pas imaginer un espace dans chaque immeuble ou résidence où les habitants pourraient louer ce matériel ?
Peut-être même les emprunter gratuitement car payé par la copropriété ?
Et fourni par un acteur du domaine ? enseigne de bricolages, fabricants, ou loueurs professionnels ?
Pourquoi ces acteurs ne poussent-ils pas ces idées aux promoteurs immobiliers ?
Pourquoi ne puis-je pas, en tant que membre d’un syndic de copropriété, me tourner vers des fournisseurs pour faire installer ce type de structure dans ma résidence ?
Ces espaces communs permettant de partager des moyens se retrouvent également dans des habitats plus spécifiques (résidences haut de gamme dont le niveau de luxe ne se juge plus qu’à la taille de l’appartement mais à la liste de services et d’espaces à disposition), ou avec une approche plus globale (les “building amenities” = pas seulement la laverie, mais le sport, les loisirs)...
Mais aussi pour les espaces non plus d’habitation mais de bureaux.
Petit aparté sur les bureaux : si la gardienne disparaît dans l'habitat, elle (re)vient en force au bureau avec de nouveaux rôles jugés essentiels dans le bonheur au travail : l’office et/ou happiness manager - voir le témoignage de Marie, notre Office manager chez use.design sur ce sujet.
Et tout cela sans oublier le travail dans les années 50 de Le Corbusier pour sa Cité radieuse, et le développement de ses idées sur le bien vivre ensemble au travers des espaces/services communs.
Ou plus avant encore avec les réflexions sur un nouveau lieu de vie commun - précurseur du logement social d’entreprise - dans les Phalanstère de Fourier et autre Familistère de Guise au XIXème siècle.
Mais nous y reviendrons plus tard...
Voilà pour ce petit tour d’horizon rapide. Beaucoup d’idées et d’opportunités donc peuvent s’ouvrir à nous.
Et pour conclure ce chapitre, voici 2 réflexions sur ce thème du partage de moyens, menées par des industriels et des architectes. Signal, peut-être encore faible, que cela peut devenir un thème majeur de nos réflexions sur les conditions de logements de demain.
Patrick Avril — PDG @ Use Design, une agence de design à Paris qui donne vie à des stratégies, des produits digitaux et des services innovants.